Me too, toi aussi, elles aussi…

Me too a eu lieu il y a un bail déjà. A cette époque, j’avais hésité à partager mon histoire, mais je n’étais pas encore prête. Depuis, du temps a passé… je crois que c’est le moment pour moi. Si j’hésite encore, c’est que ça me donne la la nausée, d’entendre parler des violences sexuelles. Parce que plus on parle, plus c’est affreux. La liste des victimes semble sans fin, les chiffres sont terrifiants.
Il y a en moyenne, en France, chaque année, au moins 94 000 femmes, de 18 à 75 ans, qui sont victime de viols ou de tentatives de viols. (C’est la fourchette basse des estimations). Les mineur.e.s ne sont pas compté.e.s…… Oui, on en a la nausée.

 

Pourquoi parler ?

Mais ce n’est pas parce qu’on a la nausée qu’il faut se taire, au contraire. Il faut continuer jusqu’à ce que plus personne ne puisse supporter ni que cela arrive, ni que cela soit nié, toléré, voire carrément encouragé et protégé.
Je témoigne aussi parce que lire ou entendre des témoignages de victimes est parfois salutaire. Cela peut permettre de voir en soi. De se souvenir.
Moi, c’est un texte sur le dégoût (justement) qui a dégoupillé encore une grenade que j’avais rangée sous le boisseau. Pourtant, je croyais avoir depuis longtemps fait le tour de mes agressions, plus ou moins graves et plus ou moins traumatisantes. Et bien non ! Il semblerait que plus je regarde en moi et plus je me souviens. De nouveaux faits remontent. J’espère que je suis arrivée au bout des souvenirs…

Alors parce que j’ai la nausée je vais vous conter mon histoire de « me too ». Elle est terriblement banale et « pas si grave ».

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C’est pas si grave

D’ailleurs, commençons par ça « c’est pas si grave », c’est ce qu’on se dit toutes et tous. Parce qu’on n’en est pas mort.e.s. Parce que d’autres ont vécu pire. Et aussi parce que c’est parfois tellement difficile qu’on préfère minimiser. Et parce que la sidération fait vivre ces événements dans un état d’irréalité stupéfiant, les mettant à bonne distance. Mais en fait, les conséquences des violences sexuelles sont dramatiques. Je n’ai pas le courage de vous en faire la liste, mais vous pouvez aller lire cet article.
Moi, je vais plutôt vous raconter mon histoire.

Alors, c’est parti.

Me too, j’ai croisé un exhibitionniste.

J’avais dix ans. J’étais en route pour aller me baigner, seule, dans un lac pas loin de chez moi. C’était un joli chemin, entre des murs de pierres sèche d’un côté et des arbres de l’autre. J’étais seule à rêvasser quand un jogger m’a doublée et a commencé à trafiquer je ne sais quoi avec son sexe. Je me suis dit « il va aller pisser » et j’ai cessé d’y faire attention. Sauf qu’il s’est retourné, pénis dans la main et m’a demandé « Tu veux toucher ? ». Comment te dire… non, je ne veux pas toucher ! Je n’ai pas répondu, bien sûr, j’ai juste couru vers la plage et je ne me suis arrêtée de courir qu’une fois arrivée au milieu des gens, le plus loin possible de lui.
Heureusement, j’ai pu raconter ça à mes parents. Je ne sais plus ce qu’ils m’ont dit, mais bon… J’avais rencontré un pervers, ça arrive. On s’en remet. Nous n’avons pas porté plainte. Ça ne se faisait pas, à l’époque. Maintenant non plus, ou trop rarement… Pourtant, porter plainte est souvent une étape vers la guérison, ne serait-ce que parce qu’elle reconnaît ce simple fait « j’ai subi une agression.» Et son corollaire : je ne suis pas coupable.
De plus, on ne pense pas nécessairement l’exhibitionnisme comme une agression sexuelle. C’en est pourtant une, au même titre que le harcèlement, le frotteurisme, (le fait de se frotter sur quelqu’un.e) le voyeurisme ou l’envoi de photos ou vidéos à caractère sexuel. (Voir ici la liste de ce qui est considéré comme une agression).

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Me too, je me suis fait poursuivre

Deux ans plus tard, j’étais en 5e. Ce soir-là, je rentrais de ma longue journée de collège et conservatoire. Il était 19h, il faisait presque nuit. J’étais hyper chargée : cartable comme on en avait à l’époque, 12kg au bas mot, plus sac de danse, plus mon hautbois. C’est lourd aussi, un hautbois. Il y avait ce type dans le bus, qui n’arrêtait pas de me regarder. Un jeune entre 16 et 20 ans peut-être. Je n’aimais pas son regard, ça me mettait mal à l’aise. Aussi, quand il est descendu à mon arrêt et qu’il a commencé à tripoter sa braguette, je n’ai pas attendu qu’il se retourne. J’ai tracé de toute la force de mes petites jambes vers la maison. C’était loin, mes sacs étaient lourds et cognaient contre mes jambes, j’avais eu une longue journée…mais je pense que je n’ai jamais couru aussi vite de ma vite. Seulement voilà, celui-là, contrairement au premier, il m’a couru après !
J’étais terrifiée. Arrivée devant le jardin, peut-être 500 mètres plus loin, une voiture est passée- ce qui a arrêté le type un instant. Moi j’ai fouillé frénétiquement dans mon sac et évidemment je ne retrouvais pas ma clé!!!! La panique brûlait mes veines. Finalement j’ai mis la main dessus et suis entrée au moment où il a regardé à nouveau vers moi, s’apprêtant à entrer dans mon jardin. Je me suis enfermée et me suis plantée devant la télé. Ne pas penser, ne pas penser, ne pas penser.
Mes parents m’ont retrouvée à la même place, quand ils sont rentrés un peu plus tard. Figée. Muette. Glacée. Je me souviens de cette sensation étrange, mélange de vacuité et de terreur, comme si c’était hier.

Me too j’ai eu peur d’être dehors le soir

Après ça, rentrer seule chez moi est devenu très difficile. Comme je n’avais pas trop le choix, mes parents m’ont emmenée dans une armurerie et on a acheté une petite bombe lacrymogène. Il m’a fallu plusieurs années avant de pouvoir sortir sans l’avoir dans ma poche. Marcher seule dans la rue devient une épreuve. A tout le moins, je suis stressée. Si des pas résonnent derrière moi, c’est la panique totale et je serre convulsivement dans ma main la petite bombe qui est mon seul rempart contre l’horreur. Traverser la grande plaine près de chez moi se transforme en cauchemar s’il fait noir : je fouille la nuit des yeux, imaginant un monstre sanguinaire caché derrière chaque brin d’herbe et chaque buisson. Les battements de mon cœur paniqué résonnent à mes oreilles et accentuent mon angoisse.

Quant à croiser des groupes d’hommes dans la rue de nuit comme de jour, c’est une situation que je préfère éviter, quitte à faire de grands détours si nécessaire. Bref. La peur au ventre, longtemps. Parfois, encore, des réminiscences. Ou simplement la conscience d’être une proie potentielle ?

D’une façon générale, avec ces deux événements, j’ai appris à avoir peur.
Des hommes, de leur sexe, de leurs désirs, de leur violence, de la nuit.
Je mettrai des années avant d’oser approcher un garçon, puis un homme, de près. Et il me faudra des semaines, que dis-je, des mois après ma première relation sexuelle pour pouvoir regarder un pénis sans trop de dégoût. Autant dire que ça ne facilite pas trop les relations amoureuses.

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Quelques faits

Ce qui est effarant, en fait, c’est l’extrême banalité de ces agressions. Asseyez-vous si ce n’est pas déjà fait, voici encore des chiffres : 86% des femmes ont été victimes « d’au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue ». Cela va des sifflements aux insultes, en passant par les poursuites et les agressions. Ailleurs, j’ai vu d’autres chiffres que je ne retrouve pas, mais plus de 95% des femmes subissent des agressions dans les transports en communs…

Ces agression m’ont aussi permis de valider la croyance générale que les hommes qui agressent les femmes sont des pervers, inconnus de leurs victimes et que le lieu le plus dangereux pour une femme est l’espace public.
Bon, c’est un fait, l’espace public nocturne n’est pas un espace sécurisé pour les femmes. Mais, en fait, dans 90% des cas de viol ou d’agression sexuelle, les femmes connaissent la personne qui les agresse. Et dans 47% des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. (chiffres du ministère de l’intérieur )
« L’agresseur », hélas, n’est pas un monstre, comme nous le verrons avec la suite de mon histoire. C’est même assez souvent un type sympa, et au moins pour quelques uns d’entre eux, qui n’a pas nécessairement envie ou conscience de nuire. Et comme c’est impensable que le copain de notre voisine, si gentil, ou le boulanger qui fait de si bons pains puissent commettre des agressions – et bien elles ne sont pas vraiment reconnues ni punies par la loi. On y reviendra.

Allez, on continue.

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Me too, je me suis réveillée avec un sexe dans mon vagin.

Ca c’est étonnant, parce que si j’avais écrit cet article il y a une semaine, je ne vous en aurais pas parlé. C’était tellement un non événement que je l’avais oublié ! C’était mon copain de l’époque. On faisait souvent l’amour avec grand plaisir partagé. Et donc, cette nuit-là, je me suis réveillée pendant qu’il me pénétrait. Bon. J’ai fait ce qu’on attendait de moi, mon corps était excité de toute façon. Sur le moment, je ne crois pas que ça m’ait posé problème. Peut-être même que j’ai été flattée qu’il me désire comme ça ? Mais je dormais bien, avant qu’il ne me réveille !
Avec le recul, (25 ans après!) ça me choque quand même un chouïa. Parce que c’est entendu pour tout le monde, pour les hommes comme pour leurs compagnes : le corps des femmes est à leur disposition. Ben voyons ! Mais la définition du viol, c’est bien un rapport sexuel non consenti ? Et quand je dors, à quel moment je donne mon accord ? De plus, ce n’est pas parce que j’étais d’accord hier que je suis encore d’accord, si ?
Alors, je me pose des questions. Est-ce normal que ça ne m’ait pas posé de question ? Ou est-ce parce que nous sommes déjà bien conditionnées qu’on trouve ça normal ? A moins que nous en ayons discuté avant et que j’aie oublié avec le temps ? Espérons que c’est la bonne raison !

Alors petit rappel utile sur ce qu’est le consentement en suivant ce lien.(vous savez c’est la petite vidéo sur le thé. Si vous ne l’avez pas vue, elle vaut le détour, elle est simple et drôle – et nécessaire !).

Pour les feignant.es, en voici un résumé . Si quelqu’un.e dit oui, c’est oui. Si quelqu’un.e dit peut-être, il se pourrait que ça soit oui, il se pourrait que ça soit non. Si quelqu’un.e dit oui, puis non, alors c’est non. On a le droit de changer d’avis. Si iel dort, c’est non. Si iel est inconscient.e, c’est non. Si iel a dit oui hier, ça ne veut pas dire qu’ iel dira oui ce soir. En fait, c’est assez simple, non ? Mais c’est compter sans la culture du viol.

La culture du viol, c’est quoi ?

C’est :

  • Un concept sociologique qui explique que notre société minimise, normalise, voire encourage le viol. En fait, contrairement à ce qu’on a longtemps cru et comme les chiffres que je viens de donner le prouvent, les viols sont des agressions courantes. Banales. D’après les féministes radicales qui ont développé ce concept, le viol est une manifestation du sexisme et de la misogynie et elles affirment que ce ne sont pas des crimes sexuels, mais des crimes qui utilisent la sexualité comme forme de violence. On ne viole pas par appétit sexuel débridé, mais pour affirmer son pouvoir ou pour l’imposer. Ce que confirme Loïck Villerbu psyhochologue et criminologue (cité dans Le Viol, un crime presque ordinaire)  :« Le viol est d’abord une agression. Et l’agresseur élit le champ sexuel. »
  • Un renversement de la culpabilité : La culture du viol réhabilite les agresseurs et blâme leurs victimes. Elle a tendance à plus croire les premiers et moins les second.e.s et à penser qu’ils et elles font ça pour se faire mousser, ou gagner de l’argent. C’est oublier que prendre la parole est toujours un énorme risque pour la victime. Risque de n’être pas cru.e, risque d’être accusé.e de l’avoir cherché, risque d’être discrédité.e, de perdre son travail (La plupart des femmes qui portent plainte contre un agresseur au travail perdent leur emploi), de « foutre la merde » etc. Ces réactions de rejet viennent ajouter un traumatisme de plus au trauma initial… d’où les hésitations à porter plainte et même à en parler.
  • Un mythe : Cette culture entretient le mythe du « vrai » viol et de la « vraie » victime dont j’ai parlé plus haut. Toutes les agressions qui s’éloignent du modèle admis et pensable peinent à être reconnues comme telles. « Ce n’est pas si grave » semble être le mot d’ordre. S’il n’y a pas de violence, si la victime avait bu, si elle n’a pas une vie « irréprochable », si elle ne s’est pas débattue, si elle était habillée de telle ou telle façon, etc… elle diminue ses chances d’être entendue. De même, s’il n’y a pas pénétration d’un pénis dans un vagin ou un anus, ça sera plus rarement reconnu comme viol (alors qu’en France, la loi est claire à ce propos et affirme que toute pénétration, où que ce soit, avec quoique ce soit, est un viol).
  • La négation du non-consentement. Or :
    – quand on a trop peur, on ne peut pas se défendre (cf plus loin : l’effet de sidération)
    – les zones érogènes sont parfois excitées malgré soi, sous la terreur et sans désir
    Il existe une croyance tenace, véhiculée par les films, les livres et les chansons qui affirme qu’une femme qui dit non est en fait en train d’espérer qu’on entende son oui secret… il suffit donc d’insister assez longtemps. Autrement dit, comme les femmes ne savent pas dire oui, il faut agir pour les sauver de l’immobilité et du doute !

On n’est pas sauvé.e.s.

Allez, on respire un grand coup et on continue.

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Me too, je me suis fait peloter et on m’a dit que je l’avais cherché

Cet événement m’a fait un peu plus cogiter. Je n’ai même parlé que de ça pendant des mois. Que celleux que j’ai saoûlé.e.s avec mes histoires me pardonnent. (mes histoires, ben oui, je suis en train de m’excuser d’avoir été agressée. Encore ce renversement classique de la culpabilité, j’aurai sûrement l’occasion d’en reparler)
Voici les faits. J’organise un stage de danse contact improvisation de trois jours pour lequel je fais venir un super danseur et pédagogue. A la fin de la dernière journée, oh grand honneur et grande joie, il m’invite pour un duo pendant que les autres partent. C’est vraiment une danse exceptionnelle qui commence. Sauf qu’au bout d’un moment, alors que j’ai mon dos contre son ventre, il met sa main sur mes seins. Et elle reste là. Je suis perplexe. Est-ce qu’il a besoin de la mettre précisément à cet endroit pour pouvoir exécuter un porté précis ou je ne sais quoi qui nécessite une prise particulière ? Bref, je cogite longtemps puis je finis enfin par repousser sa main, le plus délicatement possible. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que si ça avait été n’importe qui d’autre, j’aurais repoussé sa main bien plus vite et bien plus fermement que je n’ai fini par le faire. Mais là, c’était mon prof. Cet homme que j’admirais énormément ! Donc, j’ai mis plus de temps à réagir.
Après que j’aie enlevé sa main, il l’a remise ! Alors j’ai arrêté la danse.
Obsédée par cet événement, j’ai fini par lui écrire, lui partageant mon malaise et le fait que l’espace de la jam (temps de pratique libre du contact improvisation) n’était pas fait pour ça, que son rôle de prof le mettait dans une situation de pouvoir… et que je n’avais jamais donné mon accord pour ses mains sur mes seins.
Il m’a répondu en expliquant qu’il ne se sentait pas prof et que dans les temps qui n’étaient pas de l’enseignement il faisait ce qu’il voulait, que la jam était un espace de liberté et de subversion et qu’il avait senti un accord et une autorisation de ma part (ah bon ? Même quand j’enlève ta main ? Tu sens que c’est une invitation à la remettre?).
Je n’ai pas eu le courage de lui répondre.

Ce qu’on peut apprendre là :
D’abord, ce que dit la loi :
« Tout acte sexuel (pénétration, attouchements, exhibition…) commis avec “violence, contrainte, menace ou surprise” est interdit par la loi et sanctionné pénalement.
Il y a violence sexuelle, dès lors qu’il y a absence de consentement d’une des personnes impliquées (viol ou autres agressions sexuelles).
L’auteur des faits est le seul responsable. Le coupable, c’est l’agresseur. »

Moi, j’ai mis des années à reconnaître ce fait comme une agression. Pourtant, il n’y a pas photo : attouchement, sans consentement, sous le coup de la surprise. Et avec circonstance aggravante : la situation de prof. J’aurais pu m’en rendre compte aussi en mesurant le traumatisme après les faits : ce besoin d’en parler encore et encore sans comprendre pourquoi ça m’avait autant affectée !
On l’a dit, les agressions sont des prises de pouvoir. Ce sont soit des personnes qui ont déjà le pouvoir du fait de leur position dans la société soit qui n’en ont pas et agressent des plus faibles pour tenter de se réconforter. Mais plus elles ont de pouvoir, plus il est difficile de leur opposer un refus. Un médecin a tous les droits sur le corps de sa victime euh, patiente. Un prof aussi. Quelqu’un de plus âgé. Celui qui est plus riche. Celui dont vous dépendez pour votre survie, etc. Quand un prof nie être en situation de pouvoir, c’est soit un mensonge soit une méconnaissance profonde des ressorts psychologiques des interactions sociales.
Les rapports de pouvoir et de domination sont au centre de la problématique des agressions sexuelles. C’est parce que les femmes sont des femmes qu’elles sont agressées.
Pour en revenir à mon histoire, je me suis contenté d’en parler à tout le monde, sans même vouloir lui nuire, mais je crois que je lui ai fait une contre-pub efficace. « Ah, c’est un très bon prof, simplement, préviens les femmes de ton cours qu’elles doivent être vigilantes… ». Je n’ai dit à personne de ne pas l’inviter, à l’époque, ça ne me paraissait pas une raison suffisante de le rayer du circuit. Maintenant, je le ferais. Et je n’invite plus les gens quand il y a le moindre doute sur leur comportement.

Il y a eu aussi quelques personnes pour me dire que ma façon de danser étant très sensuelle, il ne fallait pas que je m’étonne de ce qui m’était arrivé…

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Me too, je n’ai pas voulu porter plainte

Plusieurs années après cet événement, une énième femme agressée par le même homme (à peu près dans les mêmes circonstances, mais là, il avait mis la main dans sa culotte!) décide de porter plainte contre lui. Elle habite l’autre bout de la France mais a entendu parler de moi et voudrait savoir si je veux porter plainte aussi. Je refuse. D’une part je trouve qu’il y a prescription parce que ça fait longtemps (la loi, elle, prescrit les délits au bout de 6 ans) mais en plus… je ne veux embêter personne.
Je veux dire, ça va le blesser, ce type, que je porte plainte. Il va m’en vouloir. Il ne va pas comprendre. Vraiment, je ne veux pas causer du souci à qui que ce soit. Je suis une grande fille, je gère mes traumatismes toute seule… Encore une fois, je ne le savais pas l’époque, mais c’est classique. On protège les coupables. Même les victimes protègent les coupables. Elles ne veulent pas faire de vagues. Pas déranger.
Ou alors, pas risquer qu’on ne les croie pas, qu’on se moque d’elles. Elle ne veulent pas répéter leur histoire encore et encore devant des gendarmes, des juges, ou même, qu’on refuse leurs plaintes. Et ça, ça arrive encore trop souvent. J’en profite pour rappeler, à toute fin utile, qu’un fonctionnaire n’a pas le droit de refuser un dépôt de plainte. Et quand ça arrive, il existe des recours. Bref.
En tout, cas, moi, je ne voulais embêter personne. J’ignorais que j’avais peur des conséquences, pour moi, pour lui, pour la communauté de contact improvisation, pour mon image de moi peut-être aussi. Je voulais rester cette fille gentille et qui ne fait pas de vagues. Pffff…
En plus, je l’ai déjà dit mais je le répète parce que c’est important et tellement classique : je n’avais pas vraiment le sentiment d’avoir été « agressée ». Bon, il m’avait tripotée. Bon, j’avais mis des mois à m’en remettre. Bon. Mais c’est la vie, non ? Encore un point tout à fait banal : les victimes mettent parfois un temps fou à se reconnaître comme victimes. Il a fallu que je subisse une autre agression avant de pouvoir enfin nommer celle-ci pour ce qu’elle était, pour pouvoir aussi revenir en arrière et compter celles que j’avais subies avant.

Elles n’ont plus, elles n’ont pas porté plainte

Les autres victimes, elles, avaient bien compris de quoi il s’agissait. Mais l’asso de contact improvisation locale les a encouragées à retirer leur plainte : pour ne pas déconsidérer le contact-improvisation ! Renversement des valeurs encore. Ce sont les victimes qui abîment l’image de marque de la pratique ? ! Alors qu’on rassurerait tout le monde en affirmant haut et fort que ces façons de faire ne sont pas bienvenues du tout dans la communauté. Bon, il a été interdit de revenir pratiquer dans cette ville et le mot est passé un peu partout mais quand même !!!! Une fois encore on protège l’agresseur. En toute innocence. Je sais pour en avoir parlé avec les responsables à l’époque qu’ils et elles ont vraiment fait ce qui leur semblait le plus juste. Et pire encore, j’étais d’accord avec cette décision !

Il faut du temps pour apprendre et pour comprendre. Il m’en a fallu du temps pour pouvoir accepter de voir ce que je ne voulais surtout pas savoir. Le mot agression me mettait trop mal à l’aise.

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Me too je me suis plus ou moins fait violer… enfin, je me suis laissée faire… enfin, comment on dit ?

L’événement dont je vais maintenant vous parler est celui que j’ai évoqué au tout début de mon article. Celui qui vient de me revenir.
Je lisais un article sur les violences sexuelles et je tombe sur un passage qui parle de dégoût. Ça me remue, mais je ne sais pas pourquoi. Le lendemain, j’écoute un podcast qui n’a rien à voir (Entre nos lèvres, super, l’épisode avec Jüne) où une femme raconte les fois où les hommes refusent de mettre des préservatifs. Et là, d’un coup, ça me prend aux tripes. Et avec le souvenir, le dégoût, intact et la colère aussi forte qu’il y a quelques années, quand c’est arrivé.

Bon ben, voilà. On est dans un appart, pas chez moi, pas chez lui. On danse tous les deux dans le salon. Et puis ça dérape un peu. Au début, je ne suis pas contre. Et puis au bout d’un moment, je ne suis plus trop sûre d’être pour, mais ça ne se fait pas de dire non, surtout quand on est déjà dans un lit et à moitié déshabillée. Et, quand on a commencé, on va jusqu’au bout, sinon on est une salope et une allumeuse. Donc bon, ok. Ce n’est pas la première fois que je fais un truc dont je n’ai pas vraiment envie  (je vide les poubelles et je nettoie le bac du chat, je fais mes comptes et je vais travailler la boule au ventre de temps en temps et surtout, j’ai couché avec mon compagnon plein de fois sans en avoir envie mais pour avoir la paix,) et puis ça ne dure pas trop en général. Je peux vivre avec. Plus facilement, j’imagine, que de devoir dire non, là, maintenant.

(C’est un autre gros sujet, les violences sexuelles qu’on « s’inflige » pour préserver la paix des ménages. La façon dont on achète notre tranquillité même si on n’a pas envie, parce que c’est beaucoup trop coûteux en énergie d’expliquer pourquoi, non, pas ce soir, parce que le manque de douceur, parce que la charge mentale, parce que tous les non-dits du couple… Ca fera peut-être l’objet d’un futur article, qui sait ?)

Donc ok pour laisser faire, plus ou moins, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir le choix, à l’époque. Par contre, je lui demande de mettre un préservatif.
Il s’est passé plein de trucs avant mais l’image qui me reste est celle-ci. Je suis allongée sur le dos, il est au dessus de moi, accroupi. Il essaie d’enfiler son bout de plastique, n’y arrive pas… et me pénètre sans ! Je suis sidérée. Muette. Figée. J’attends. Et non seulement ça, mais il éjacule en se retirant. Trop tôt, assez tard ? Impossible de savoir. J’en suis verte de rage. De dégoût. De tristesse. J’aime beaucoup ce type, mais ce qu’il vient de faire…

Il part. Ou pas, je ne m’en souviens pas. Ce que je sais, c’est que le lendemain je suis allée toute seule acheter ma pilule du lendemain. Avec l’impression d’avoir été la serpillière qui a épongé son sperme. Et de devoir me coltiner toute seule les conséquences de son acte. Ce n’est pas pour rien que j’ai arrêté la pilule il y a des années. Je ne veux pas bouffer toutes ces hormones. Mais là, j’ai le choix entre avaler la méga dose pour éviter une grossesse qu’il aurait pu éviter tout à fait simplement ou prendre le risque de tomber enceinte de ce type ! ( Et toi, tu préfères manger un caca parfum chocolat ou manger du chocolat parfum caca ? ) Eh, dis, à quel moment tu as tenu compte de moi ?  A quel moment tu m’as respectée ? Il est où le plaisir partagé ? C’était pas le deal, au départ ?

Après avoir avalé cette pilule, je rentre chez moi et décide d’oublier cet événement définitivement. Au début je n’y arrive pas, mais je concentre ma colère sur cette pilule que j’ai du mal à avaler. Pas sur le fait qu’on m’a pénétrée sans mon consentement. Cette pensée aurait été, je crois, trop difficile pour moi, à l’époque. Donc, oui, il y a ce truc de la pilule qui m’a poursuivi quelques jours ou semaines et puis j’ai rangé le souvenir dans un coin pour finir par véritablement l’oublier. Jusqu’à ces derniers jours. C’est de m’en souvenir qui m’a décidé à écrire cet article. (enfin, c’était il y a huit mois maintenant, le temps qu’il m’a fallu pour finir de l’écrire!)

De nombreuses victimes, surtout celles et ceux qui ont subi des agressions dans l’enfance, vivent des amnésies traumatiques. L’événement est tellement douloureux qu’il est littéralement effacé de la mémoire consciente. Cela ne n’empêche évidemment pas d’en subir les conséquences délétères, ça serait trop beau. Mais au moins, ça n’est pas au devant de la conscience. D’aucun.e affirment que la mémoire revient quand on a les moyens psychiques de guérir le traumatisme. Va savoir.

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Le scénario classique, le voilà

Ça, c’est le scénario de viol le plus courant. Un qui a envie. Une qui dit non. Un qui a vraiment envie et un non pas du tout entendu. Une victime qui entre en sidération et « se laisse faire » parce qu’elle ne peut pas se défendre. Un droit sur le corps de l’autre. Et « cette culture du viol » qui fait qu’aucune des deux parties ne peut penser correctement ce qui est en train de se passer. Pour celui qui pénètre, c’est normal. La question du consentement ne se pose pas, en fait. Il a fait tous les efforts pour amener la femme dans une position à la fois allongée et déshabillée, il a maintenant tous les droits sur elle. Pour celle qui a été pénétrée, c’est normal aussi : elle n’a rien dit, ou pas assez, donc c’est de sa faute. A la honte, à la terreur, à l’humiliation, se rajoute la culpabilité. C’est de sa faute si elle n’a rien dit, donc elle n’a pas à se plaindre. Et celui qui a fait subir… Je me demande ce qu’il pense. J’irai lui poser la question, un jour, si j’en trouve le courage. Je me demande s’il y repense parfois. Et comment il se sent.
Je n’ai pas pu lui reparler, depuis.

Cette situation se présente, hélas, très très fréquemment. C’est un scénario qu’on retrouve dans les débuts de relation, dans les soirées où ça dérape (avec plus de risque sous alcool ou drogues), dans plein de situations variées et… chez les couples « installés ». On estime qu’environ 213 000 femmes sont victimes chaque année de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur compagnon ou ex-compagnon.

Depuis peu, la loi reconnaît le viol entre époux. C’est déjà un progrès… même si les conjoints sont très rarement condamnés pour la raison déjà évoquées plus haut : ça ne ressemble pas assez au mythe sur le viol. En effet, il n’y a le plus souvent aucune violence physique, pas de fuite, de lutte pour se défendre… Bref : un viol propre ! Donc pas un viol.

Puisqu’on en est à la pédagogie, soyons précise, allons à la source et citons l’article 222-23 du Code pénal  : « Le viol est un crime : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » Tout « acte de pénétration sexuelle » est visé : pénétration buccale, vaginale, anale, par le sexe, par le doigt, par un objet. La peine encourue est de 15 ans de réclusion criminelle.
La peine peut être portée à 20 ans de réclusion criminelle si le viol est commis avec une ou plusieurs circonstances aggravantes.

Constituent une circonstance aggravante du viol et des agressions sexuelles les situations ou faits suivants : (références ici)
– si l’acte a été commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
– si l’acte a été commis à raison de l’orientation ou de l’identité sexuelle de la victime ;
– si la victime était particulièrement vulnérable (due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse) ;
– si la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits par internet ;
– si l’acte a été commis par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants ;
– si l’acte a été commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ou un ex conjoint, un ex-concubin ou un ex- partenaire pacsé. »

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La culpabilité de la victime

Mais ce qui m’intéresse, là, c’est la question de la victime qui ne se défend pas.
C’est parce qu’elle ne se défend pas qu’elle est coupable. Au moyen âge, la femme était toujours considérée comme coupable, car on partait du principe qu’elle avait toujours le pouvoir de se défendre. Et aujourd’hui encore, on estime généralement que s’il n’y a pas eu de menaces, pas de violences physiques, alors c’est qu’elle était d’accord. Les mécanismes qui font que les victimes se taisent, les mécanismes physiologiques et psychologiques qui les empêchent de réagir sont encore trop souvent méconnus – et par les victimes, qui s’abîment dans la honte et la culpabilité – et par les policier.e.s, juges et ami.e.s qui leur demandent pourquoi ils et elles se sont laissé.es faire. C’est bien qu’iels étaient d’accord, non ? Ce n’est quand même pas difficile de dire non ?

Si. C’est difficile. C’est déjà difficile en temps normal. Si vous me connaissez un peu vous savez que j’ai déjà pas mal écrit sur le sujet et organisé un certain nombre de stages autour de cette question. Dire non s’apprend, devrait s’apprendre – et on nous entraîne à faire le contraire. On nous apprend l’obéissance, la soumission à l’autorité, la peur. On nous apprend depuis l’enfance à ne pas écouter les signaux de notre corps et à passer outre. Pas surprenant, alors, qu’on en arrive là.

Mais il y a pire et encore plus terrible. C’est l’état de sidération.
J’y reviendrai.
Pour l’instant, la phrase à retenir : Céder n’est pas consentir… Eh non !

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Me too, me too, me too…

Mars 2016. J’ai rendez-vous chez un fascia-thérapeute, à Nantes. J’ai oublié son nom, incroyable. Bref.
La séance commence.
Puis continue.

A un moment, ses pouces sur mes hanches, ses doigts qui frôlent mon clitoris. Ai-je rêvé ? Ou pas ? C’est fini. Ah non. Encore une fois. Est-ce qu’il s’en est rendu compte ? Sûrement pas. Mais ça recommence. Comment ça se fait ? Peut-il ne pas savoir ? Est-ce que, pour une raison ou une autre qui m’échappe, ça fait partie du soin ?

Pour comprendre cette histoire, il faut bien voir que :
1. il est totalement impensable pour moi que quelqu’un dont le métier est de soigner puisse me vouloir du mal. Comme c’est impensable, je n’y pense pas.
2. le type n’a pas de désir pour moi. Je sens ces choses-là et ce n’est pas ce qui se passe. Donc que se passe-t-il ? Cet événement est totalement illisible pour moi.

Et je fais ce que je fais toujours quand je ne comprends pas un truc. Je cogite. Je me pose des questions, mais pas les bonnes !!!

Je me demande si je rêve, s’il fait ça sans s’en rendre compte, si c’est utile… et je réponds non successivement à toutes mes questions : non, je ne rêve clairement pas. Non, il ne peut pas ne pas savoir ce qu’il fait de ses doigts, c’est son boulot bon sang et non, ça ne peut pas faire partie du soin. Que je sache, il n’y a pas de fascias dans cette zone-là. Enfin, peut-être, mais il n’est pas en train de les masser s’il y en a. Bon, mais alors, il se passe quoi ? Je ne comprends pas, je ne comprends rien. Ça me fait juste buguer.

La bonne question, la seule qu’il aurait été intéressant de se poser est celle que je ne me pose jamais : « Est-ce que je suis d’accord ? ». Mais moi (et c’est à peu près notre cas à toustes), ce n’est pas ce que la société dans laquelle j’ai grandi a valorisé comme interrogation. Au contraire. On m’a appris que c’est bien de faire ce qu’on me demandait quelque soit mon avis sur la question. De finir mon assiette même si je n’ai pas faim et de faire un bisou au monsieur parce que c’est poli même s’il pique ou pue ou tout simplement me fait peur. On m’a appris à faire mes devoirs même si je suis fatiguée et à aller en cours même s’il fait beau dehors et que je préférerais aller nager. Les maîtresses à l’école m’ont demandé de mettre un pull quand elles avaient froid et les cours de danse m’ont appris à continuer à sourire même quand ça fait mal. Avec ça, j’étais prête !
Chair à canon, à votre disposition messieurs… Tirez ! (un coup) !

Alors, quand même, au bout d’un moment beaucoup trop long que je suis totalement incapable d’évaluer et, je dois l’avouer, après qu’il ait arrêté ses attouchements (quelques secondes, de longues minutes ??? ce que je sais c’est que ses séances durent habituellement une heure et que je suis restée deux heures dans son cabinet.) je lui pose la question. Je lui demande ce que faisaient ses mains sur mon sexe. Et il me répond « vous avez des problèmes avec les hommes ? ». Et bien, en voilà une réponse… Bien sûr que j’ai déjà eu des problèmes avec les hommes ! Pas vous ?
Je ne sais plus quoi penser. Il essaie de me soigner ? Sa réponse m’embrouille encore plus, donc je me tais à nouveau et je reste allongée sur sa table.
La séance continue. Il ne s’approche plus de mon sexe. Je suis un bloc de bois. Je ne sens plus rien, je ne suis plus là. J’erre, je ne sais où.

Je rentre chez moi dans un état second. Sans savoir ce qui m’arrive. Le soir, je manque d’appeler les urgences pour des douleurs insupportables au cou et aux épaules. Ça ne m’est jamais arrivé de ma vie. Dans les jours qui suivent, je fonctionne comme un zombie, je suis absente à moi-même et aux autres. Une première conversation avec mon frère, ostéopathe, me fait commencer à comprendre que ses mains à cet endroit-là, non, ce n’est pas normal. (Je relis cette phrase et j’hallucine ! Il a fallu qu’on me confirme que non, ça n’était pas normal!) Du coup, j’en parle à deux copines qui me secouent vraiment :  « mais c’est grave ce qu’il a fait, il n’avait pas le droit ! » « Ah bon ? ». Je suis perdue.

Je finis par appeler une ligne d’écoute, le 39 19 et je tombe sur une personne dont l’accompagnement et les paroles ont probablement sauvé une partie de ma santé mentale. Elle m’explique tout, me rassure, me donne des pistes. Elle me confirme que j’ai vécu une agression grave, punie par la loi. M’explique les phénomènes de sidération et de dissociation. Me donne des adresses de professionnel.le.s pour m’accompagner et dans la reconstruction et dans un dépôt de plainte, si j’envisage de le faire. Et surtout, elle me dit que c’est normal de me sentir comme je me sens, suite à ce genre d’événement. C’est à dire, vraiment mal.

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La sidération

C’est le moment d’expliquer ce qu’est la sidération.
C’est ce qui paralyse les victimes (et leur fait se sentir coupable après de ne pas s’être défendue.) Le mécanisme est maintenant bien connu et documenté… mais personne n’en parle !

Il se trouve que notre organisme est merveilleusement bien conçu pour pouvoir faire face aux différents dangers qui peuvent survenir en réagissant de deux façons possibles :

  • la mobilisation : nous produisons alors énormément d’adrénaline, ce qui accélère le rythme cardiaque, l’oxygénation des muscles et nous permet de battre nos records de vitesse ou bien d’attaquer notre adversaire. On se retrouve à 12 ans à courir plus vite qu’un homme majeur et mesurant deux têtes de plus. On soulève des voitures, on tient jusqu’à l’arrivée des secours, etc. Super utile si on veut faire de vieux os.
  • l’immobilisation : quand le danger semble trop grand pour pouvoir être géré par la fuite ou l’attaque, nous nous figeons. Ce n’est pas un choix conscient. C’est simplement que, si le stress est trop grand, la quantité d’hormones déversée dans le sang pourrait causer un arrêt cardiaque. Il y a donc un système de sécurité qui prend le relais. Au delà d’un certain stress, le système s’arrête. Il disjoncte, tout simplement. Et avec lui, la capacité à bouger, ressentir, comprendre. Vous voyez le lapin dans les phares de la voiture ? Et bien c’est tout à fait ça.
    En fait, le cerveau ralentit tout l’organisme et anesthésie littéralement l’individu pour qu’il ne bouge plus et ne ressente plus la douleur. (Ce qui n’évite pas la mort, mais évite la souffrance de la mort, c’est déjà ça. Je l’ai testé en vrai quand on m’a roulé sur la jambe : pendant plus d’une demi-heure, je n’ai absolument rien senti. Jusqu’à ce que je sois à l’abri). Cela peut aller jusqu’à un état de dissociation. Le personne n’est plus là, plus dans son corps et elle peut même oublier complètement l’incident. Le souci, c’est de revenir de la dissociation… C’est en gros ce qui m’est arrivé. Ça et d’autres choses.

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Conséquences pour moi

Pendant des mois je ne peux plus me laisser approcher, encore moins toucher. Je ne fais plus la bise, j’évite les gens. Dans les groupes, contrairement à mes habitudes, je reste à l’écart. Mon métier, c’est de danser en contact… pas de bol, c’est devenu impossible. J’annule tout ce que je peux annuler.
Je ne parle plus. Je n’y arrive plus. C’est trop trop d’efforts. Je mobilise déjà toute mon énergie pour ne pas m’effondrer. Et pour dire quoi? Un autre événement traumatisant m’arrive deux mois après celui-ci (la mort violente d’une enfant dans mon entourage proche) et je ne sais pas quelle part de ma chute vertigineuse dans le désespoir attribuer à l’un ou à l’autre. La conjonction des deux a eu raison de moi en tout cas. Et de ma parole.
Je ne parle pas, je ne danse plus et je me demande si je retrouverai la joie un jour. Je me demande si je retrouverai une activité qui me donne autant de joie que le contact improvisation si jamais je ne peux plus jamais danser.
Par contre, je pleure. Beaucoup, souvent. Je reste assise à contempler le désespoir. J’écris quand je peux.
Et je fais couler de l’encre sur des feuilles de papier. J’en noircirai plus de 2000 pendant cette période étrange. Certaines d’entre elles illustrent cet article.
J’ai envie d’être morte, souvent. Ça dure des mois.
Je ne veux pas sombrer. J’ai des enfants. Peut-être un avenir. Alors, je vais voir des gens pour tenter d’aller mieux.  Il y aurait un roman à écrire sur le sujet. Je pourrais replonger dans mes notes pour être un peu précise, mais je préfère pour cet article vous partager les choses qui sont vivaces en cet instant. Et qui, à mes yeux, méritent vraiment d’être racontées.

  • Je vais voir une association d’aide aux victimes pour avoir des conseils juridiques. La personne qui me reçoit, censée m’aider à m’orienter dans la jungle administrative ne m’apprend rien que je n’aie déjà lu quelque part. Par contre, elle se permet de m’asséner « déjà quatre agressions, mais faudrait vous soigner et vous poser des questions ! ». Mais, c’est ce que je fais madame ! C’est assez typique du retournement de culpabilité dont j’ai déjà parlé.
  • Je vois un psy à l’hôpital psy (c’est quand même étrange qu’on vous envoie à l’hôpital psy, vous avez été agressée par un malade ou un fou, et c’est vous qui vous retrouvez « chez les fous »). C’est l’asso d’aide aux victimes qui m’y envoie. Lui au contraire, me rassure quand je lui dis que j’ai mis « quinze jours, vous vous rendez compte » à réaliser que j’avais subi une agression. « vous savez, madame, il y a des femmes qui mettent des années ». Et bien… oui, en fait, je vais le découvrir par moi-même. C’est après cette agression que j’ai pu repenser mon pelotage des seins comme une autre agression.
  • Je porte plainte. A la gendarmerie, je suis bien tombée. On m’a écoutée avec respect et on a pris mon témoignage entrecoupé de crises de larmes avec bienveillance. Ce n’est pas le cas de tout le monde, donc ça mérite d’être souligné. Bon, bien sûr, on m’a quand même demandé comment j’étais habillée et si ma culotte était en dentelle (ouf, non!)… il faudra du temps pour que les mentalités changent !
  • Je serai convoquée un an après pour une confrontation avec mon agresseur. Pendant la confrontation, nous sommes dans le même bureau mais il a interdiction de me regarder. Moi, j’ai le droit si je veux. A la fin, je lui demande de me regarder et de me dire ce qu’il en pense. Il nie tout en bloc avec tellement de conviction que je sors de là à nouveau effondrée et doutant de ma propre expérience ! Il me faudra 48h pour retrouver mon assise. Le gendarme qui me raccompagne me prévient « il n’y aura probablement pas de suite, c’est sa parole contre la vôtre. Par contre, souvent, ça les secoue, les types, une journée entière en garde à vue. Après, ils hésitent. Bonne chance ».
  • Ah, et oui, il n’y a pas eu de suite. Le type exerce toujours. Jusqu’à la prochaine plainte ?

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Revenons sur quelques points :

Il n’avait pas de désir

L’absence de désir dans cette interaction m’a vraiment embrouillée. Le désir, je connais, je sais le reconnaître (du moins, c’est ce que je me raconte). Là… alors quoi ? Je n’avais pas compris à l’époque, je n’avais pas la bonne grille de lecture. Du coup, c’était illisible. Je ne savais pas qu’il n’était pas question de sexualité, mais de prise de pouvoir. De domination. C’est ce que j’ai expliqué dans le paragraphe sur la culture du viol. Là, je pense qu’il a dû exulter de me sentir me tétaniser sous ses mains – d’autant plus qu’il était à l’écoute de mes fascias qui se figeaient petit à petit.

Se défendre/se protéger

C’est un des truc qui m’a le plus impactée, je crois et dont j’ai eu le plus de mal à me remettre. Cette sensation que je ne savais pas prendre soin de moi, que je ne pouvais pas me protéger. J’avais cru qu’à partir de maintenant, je saurais me défendre. Et cette énième agression venait juste me prouver que non. Déjà, et c’était traumatisant en soi, je n’avais rien vu venir. Or, je pensais qu’on pouvait flairer les agresseurs, les types malsains. Là, c’était un type sympa, qu’on m’avait présenté comme quelqu’un d’exceptionnel, qui m’avait offert une tisane…. Donc je suis venue avec ma garde baissée. Deux conclusions possibles : soit on ne peut pas voir les choses venir, soit – et je préfère cette interprétation-là parce qu’elle me donne plus d’espoir pour la suite – à l’époque je n’avais pas la conscience des indices à observer.

Ça m’a dévastée. Parce que d’un coup, le monde était devenu un endroit très dangereux. Si même les soignants pouvaient détruire ? Si même les gens sympas peuvent vous blesser volontairement ? Et si je n’étais pas en mesure de me mettre à l’abri ? Alors, fallait-il rester vivante dans ce monde ?

En plus, je m’étais retrouvé presque complètement démunie encore une fois, en état de sidération presque total, ce qui prouvait que, visiblement, je n’avais rien appris et je n’avais pas toujours pas les armes pour me défendre.
Or, il paraît qu’on apprend. J’espère que c’est vrai. Mais je ne sais pas comment.

Le dépôt de plainte

C’est encore aujourd’hui, malgré la volonté affichée du gouvernement de faire bouger les choses (mais avec des ministres accusés de viol qui restent en poste, à quoi peut-on s’attendre ?) un parcours du combattant pour faire reconnaître une agression.
D’après les chiffres, seulement 12% des femmes portent plainte pour viol. Sur ces 12%, à peine 10% des dossiers finissent aux assises. Soit 1,2 % des plaintes. Au final, très peu d’agresseurs sont condamnés et quand c’est le cas, il sont souvent issus de milieux populaires ou de l’immigration (ça correspond mieux au mythe du viol, si au moins l’agresseur est pauvre ou racisé!).

En gros, les victimes ont beaucoup à perdre et peu à gagner. Néanmoins, ça a vraiment fait partie de ma reconstruction d’aller porter plainte, d’assumer mon témoignage et la confrontation. Donc j’encourage les personnes qui en ont les moyens psychologiques et qui ont du soutien à le faire, ne serait-ce que pour que ça soit de plus en plus audible !

Plus d’infos sur le doc du ministère de l’intérieur.

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Renversement de la culpabilité

Une des nombreuses raisons pour lesquelles il est difficile de porter plainte ou tout simplement de parler est le renversement de la culpabilité dont j’ai déjà parlé. Je voudrais donner quelques exemples :
Voici des questions souvent posées et qui ne sont absolument pas neutres :
« Comment étiez-vous habillée ? » «Vos sous-vêtements étaient-ils transparents ? » Ah, ça aurait justifié son agression ? Moi, j’ai refusé d’enlever mon tee-shirt, le jour de la consultation. Est-ce que j’ai droit à un bon point?

« Pourquoi tu t’es laissé faire ? » « Mais tu n’as rien dit ? » « Fallait pas y aller dans cet état »… etc.
On cherche toutes les explications possibles à l’agression des femmes. Elles avaient des robes trop courtes. Elles avaient parlé au type (donc dit oui!). Elles avaient un peu bu. Elles n’ont pas dit non. De toutes façons, elles couchent alors pourquoi pas cette-fois-là ? Bref. Toutes, sauf la bonne ; à savoir qu’il y a des hommes qui se permettent de commettre ces crimes ou délits.
Or, on sait que peu importe l’habit, un homme qui veut violer ne s’arrête pas à ces détails. Des expos l’ont montré (ici et ici), des collectifs de femmes ont défilé,() habillées avec les vêtements qu’elles portaient le jour de leur viol…

Alors, oser aller dire son désespoir, la douleur infinie de la dépossession de soi pour s’entendre dire que si on s’était comporté.e autrement… Les sous-entendus qui remettent en question la victime sont autant de coups de poignard dans une plaie déjà béante.

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Me too : alors, que dire à une victime ?

Déjà, dites-lui que vous la croyez. Que vous la soutenez. Que ce qu’à fait l’agresseur est un crime ou un délit. Et que ça n’est pas normal. Demandez si la personne a besoin d’aide pour porter plainte, voir un.e médecin, un.e psychologue, contacter une asso. Demandez lui de quel soutien elle a besoin.

Faites-vous aider vous aussi si c’est trop difficile pour vous, et notamment si ça réactive pour vous des traumas oubliés. Partagez vos émotions : ça m’a aidé que mes copines soient outrées et en colère. J’ai pu mesurer ce que j’avais subi.

Ecoutez, écoutez, écoutez. Même si iel ne dit rien ! Soyez-là si vous le pouvez.
Sachez que même en étant très bien accompagné.e, ce qui était mon cas, il faut du temps pour guérir, pour aller de l’avant. Soyez patient.e.

Les assos

Moi, c’est 3919 qui m’a sauvée et je leur voue une gratitude éternelle. Mais il y a plein d’autres assos, partout, qui font un boulot incroyable de pédagogie, de soutien, de conseil, d’orientation…
Merci à elles.

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Le dernier mot

Si vous êtes arrivé.e au bout de cet article, je vous remercie de votre lecture, de votre endurance et de votre bienveillance !

Je suis particulièrement intéressée par vos retours : réactions à chaud ou à froid, émotions soulevées, interrogations, partage de témoignage… soit en commentaire sur le site, soit directement (via la page contact). Je prendrais soin de vous répondre – mais pas forcément très très vite !

Je vous souhaite de la douceur et de la paix.

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Cet article a 19 commentaires

  1. Hinry

    Alice
    Merci pour cet article que j ai lu de bout en bout. Je me souviens très bien d un moment avec toi au bord d une route à bdc où on pleurait Lili et tu m as raconté ton aggression. Je me souviens aussi d avoir été bousculée par ton récit mais je vois aussi que je n avais pas du tout mesuré ta douleur si profonde. Pardonne moi.
    Merci pour ton témoignage qui va m aider dans l accompagnement de mes filles.
    Bien à toi
    Delphine

    1. Alice

      Bonjour Delphine,
      Merci beaucoup pour ton message. Ca m’a mis les larmes aux yeux de te lire. C’est difficile de mesurer ce que les gens vivent, la plupart du temps. Surtout quand ces autres manquent de mots, d’énergie pour dire. Je suis heureuse de savoir que ce témoignage peut t’aider pour accompagner tes filles. J’en profite pour te redire que tu fais partie des personnes qui m’ont énormément soutenue, plus ou moins directement, pendant cette période où j’avais perdu pied . D’une part, grâce à la chorale. Ca a été, pendant des mois, le seul endroit où je pouvais vivre des moments agréables. Toute la semaine, j’y pensais, et j’attendais. Je m’accrochais à ça. Alors merci, encore. Et puis, alors que j’annulais petit à petit tous mes contrats d’enseignements, ne sachant pas quand je pourrais à nouveau enseigner, vous m’avez offert une opportunité magnifique avec « La semaine des léz’arts ». Je ne sais pas si tu mesures quelle chance ça a été pour moi, de savoir que je n’allais pas être obligée de me forcer à retourner enseigner tout de suite à des adultes, que j’allais pouvoir me concentrer sur les classes… Et tenter faire quelque chose de beau… Bref. Immense gratitude.

  2. Cécile

    Merci Alice 🙏🙏🙏
    Tout est très clair et non ça ne fait pas trop…. Ça me paraît même essentiel d’avoir ces récits et cette chronologie.
    Je me souviens d’avoir eu des conversations à ce sujet avec toi il y a des années et d’avoir banalisé (au moins dans ma tête) parce que je ne savais pas comment accueillir, comment faire avec ces infos là… Cette réalité qu’on a tellement tabou-isée qu’une part de moi a préféré refuser de la voir parce que c’était plus confortable à gérer.
    Aujourd’hui, je suis prête à entendre. D’autant plus que ça résonne en moi… J’aurai aussi des histoires « pas graves » à raconter…
    Et aujourd’hui, j’ai des enfants… Et je vois bien le pouvoir de contrainte qu’il m’arrive d’exercer sur eux à mon grand désarroi et comment je recrée malgré moi ces mécanismes qui consistent à obliger qqn à faire ce dont il n’a pas envie… (manger, se taire, cesser de s’agiter… d’exprimer la joie…)
    Alors, oui, je te dis MERCI de dénoncer, d’oser dévoiler pour illustrer ce qui ne doit plus être accepté.
    Cela m’incite à une plus grande vigilance et à oser parler, expliquer, faire réfléchir et me positionner.
    Merci 🙏

    1. Alice

      Merci… merci d’entendre ce que j’écris. Je suis heureuse aussi, de savoir que tu t’entends un peu mieux…
      Ah, les enfants ! C’est tellement difficile d’accompagner ses enfants avec un minimum de coercition, mais avec des cadres rassurants quand même. Comme tous les parents, j’ai essayé et en grande partie échoué… Mais nous continuons d’essayer, du mieux que nous pouvons avec ce que nous avons reçu et nos enfants feront encore mieux que nous.
      Je me dis ça. Je suis persuadée qu’on peut éduquer les enfants à réfléchir, à prendre soin d’eux et d’elles-mêmes, à se respecter et que c’est ce qui permettra à l’avenir qu’ils et elles soient mieux à même de se défendre. Du moins, je l’espère. J’ai envie d’y croire 🙂
      Courage et force à toi !

  3. Tibo

    Hello, merci Alice pour ce texte éclairant et introspectif. Il amène beaucoup de questionnements sur les rapports hommes femmes, sur leurs évolutions et certains ancrages de notre civilisation, éducation judéo chrétienne avec toute son hypocrisie. Ce qui m’interpelle le plus c’est la difficulté des non dits.

    1. Alice

      Oui. Je suis moi-même interpellée, en relisant certains passages de mon histoire par le poids de tout ce que je n’ai pas pu dire assez fort, assez clairement, assez fermement, d’une part, et de tout ce qui n’a pas été échangé, parlé, discuté d’autre part. Le consentement, c’est avant tout une histoire d’échange. J’aimerais par exemple, que les gens cessent de penser que discuter de ce qu’on aime faire ou pas faire, de si on est toujours d’accord ou pas, de si on a envie de telle ou telle chose, ça coupe l’élan, ça casse l’ambiance et ça fout le romantisme en l’air. Moi, je trouve que c’est sexy et sécurisant. C’est peut-être même sexy parce que c’est sécurisant… Mais bon, on pourrait aussi écrire des pages sur cette question ! Et si ça se trouve, je réponds complètement à côté de la plaque à ton commentaire !

  4. Caroline

    Merci Alice pour cet écrit qui pose de vraies, bonnes questions (selon moi).
    La phrase : « D’aucun.e affirment que la mémoire revient quand on a les moyens psychiques de guérir le traumatisme. » me parle particulièrement. Peut-être que cela paraît injuste car notre impatience aimerait que ça soit autrement. Ou bien, peut-être que c’est tout simplement juste. Va savoir.

    Merci pour la simplicité et la clarté de ce texte et les illustrations superbement choisies.

    1. Alice

      Merci pour tes retours. Ca me touche de savoir que tu as trouvé de la clarté et que tu as aimé mes encres !
      Oui, va savoir… En tout cas, je vois qu’il y a des choses que je suis maintenant prête à gérer, et d’autres que j’ai terminé de guérir et c’est rassurant. Quelque part, ça avance. Et j’ai de plus en plus d’outils pour le faire, aussi.
      Je t’embrasse !

  5. Adély

    Bonjour Alice
    Merci pour tes mots, encrés dans la réalité de ton vécu, de tes sentiments et de tes émotions. J’ai lu intégralement ton propos et je suis également allée sur les liens. Une plongée en eaux troubles. Ce sujet me touche particulièrement. Je salue au passage ton courage et ton honnêteté. J’aime ce que tu écris parce que tu le fais à partir de ta propre expérience, de tes ressentis de femme.
    Il est pour moi exact que la mémoire d’un traumatisme revienne au moment où l’on va pouvoir transcender et guérir la blessure. Je témoigne aussi du fait que c’est le sexe de mon compagnon qui m’a permis de guérir. Un homme très patient, très doux, très humain, très respectueux, qui laisse s’exprimer sa part féminine depuis toujours. Pour autant quand le vie ressert un plat qui est en lien avec le traumatisme initial, mes cellules s’enflamment à nouveau. Et le processus de guérison reprend encore une fois. Je dois bien admettre que c’est comme les oignons…
    D’un point de vue plus général, je pense que les travers sociétaux sont ancrés essentiellement dans le sexisme. Un sexisme dont on ne se rend même pas compte tant il est commun. Je pourrais te partager un rapport très intéressant à ce sujet si tu le souhaites.

    1. Alice

      Bonjour Adély
      Merci beaucoup pour ton message. Merci de m’avoir lue jusqu’au bout et d’avoir consulté les liens. Ça donne un sens à tout ce travail et ça nourrit ma confiance qu’il est utile.
      Ça me réjouit de lire que c’est le sexe de ton compagnon qui t’a permis de guérir. Que quiconque guérisse est une joie et que les hommes participent à cette guérison est une autre joie.
      Je suis aussi très intéressée par le rapport dont tu parles. Je veux bien que tu le partages !
      Et d’ici-là, bon courage pour les prochaines couches d’oignon et l’intense processus de guérison en cours.

  6. morgane

    Merci Alice pour ce témoignage intime mélangé a des réflexions communes.
    Ce thème revient de plus en plus autour de moi. Et je me rends récemment compte que je suis comme toi « c’est pas grave, je vais m’en remettre, je suis forte, je suis au dessus de ça » commence a me revenir dans la figure aussi…
    Ce rapport de domination si insidieuse, sous jascente à tellement de fonctionnements privés comme publics est une source qui me semble actuellement infinie. On est encore dans une croyance qu’on est tout.e.s capables de dire oui ou non clairement quels que soient les circonstances (domination, faire plaisir, ne pas déranger etc…) et que « merde, t’avais qu’à dire non clairement, c’est ton problème »!! Alors oui ça s’apprend a dire non et a etre clair dans ses besoins et limites, mais ça s’apprend aussi a etre sensible a l’autre, a observer et respecter l’autre.
    Je suis allée voir une conférence gesticulée sur le feminin-isme avec mes enfants qui n’était théoriquement pas pour eux , mais je suis ravie qu’ils aient pu entendre (sans tout comprendre) ce qui se joue.
    Alors merci de témoigner, transmettre ces reflexions pour que ca nous serve a tout.e.s
    Continue.
    Je t’embrasse

    1. Alice

      Je suis tout à fait d’accord avec toi : il y a à travailler et apprendre de tous les côtés. Et le respect de l’autre, de ses limites, c’est aussi quelque chose qui s’apprend, mais ça prend du temps.
      Et oui, je vais continuer 🙂
      Je t’embrasse

  7. Débora

    Bonjour Alice,
    Tout d’abord, je comprends ta peur de partager ce texte profondément touchant car à mon échelle de commentatrice, ça me fait aussi un petit truc dans le ventre, pas des plus agréables, de laisser une trace écrite comme ça, à portée de tous, de ce que je ressens après la lecture de ton témoignage. Se livrer est déjà courageux , et se livrer sur ce sujet là , complexe et au cœur de l’intime intimité, l’est peut-être encore plus.. Alors je me suis dit que j’allais puiser dans mes réserves de courage pour honorer le tien et te faire un retour.
    J’ai lu ton témoignage samedi matin, du début à la fin sans difficulté car je trouve ton écriture limpide et agréable, Pour le contenu, je me suis mise dans une posture d’accueil neutre, sans y porter aucun jugement de valeur, sans chercher à avoir un avis et sans chercher non plus à tenter d’analyser quoi que ce soit. Je l’ai reçu.
    Puis je suis retourner vaquer à mes activités. La journée de samedi est passée, celle de dimanche a suivi, qui a enchaînée sur celle de lundi. Et je dois t’avouer que je n’ai pas pris le temps de repenser à ce texte. Mais il cheminait en moi à mon insu..
    Et quand je me sui réveillée ce matin, en réaction à un rêve qui m’a vite échappé, il m’est revenu (ton texte, pas mon rêve)! Et il m’a permis de mettre des mots, des formes sur des choses que j’éprouvais sans bien savoir les définir, il m’a permis de préciser des ressentis, il m’ a donné l’envie (et la force aussi) de les partager.
    Il reste encore un long chemin à parcourir pour que l’image de la femme sorte des vieux schémas, alors oui, donnons nous la main pour le sillonner à notre manière, individuelle et collective! Œuvrons à imposer la femme en tant que sujet jusqu’à ce que tous les archétypes de la femme objet s’éteignent. Et, de nos regards vifs et déterminés, de nos cœurs flamboyants, mettons le focus sur tout ce/ tous ceux qui tente de nous détourner de ce chemin, réveillons nous, réveillons les!
    Merci Alice!

    1. Alice

      Bonjour Débora
      Merci pour ton message. Merci pour ton courage. Et oui, donnons-nous la main, toutes et tous pour l’égalité et le respect de toutes – et tous !

  8. François

    Alice,
    Ah c’était donc « ça » qui me faisait te sentir si proche, passé·e l’une comme l’autre à travers ce broyeur qu’est le viol !
    Ton histoire est unique, Alice. Mon histoire est unique. Comme le sont chacune et chacune des millions d' »histoires de viol, à travers les âges et les frontières.
    Mais pouvoir « dire aux faiseurs de mort que l’on survit », puis qu’enfin l’on re-vit, c’est aussi montrer qu’en fait ils·elles ont perdu !
    Heureux de savoir ce qui nous lie, ma devenue-sœur !
    François.

    1. Alice

      Oui, on survit ! Et on guérit. En tout cas, je pense pour ma part être sortie du trauma…
      Merci pour ton partage qui me touche profondément. Hélas, nous sommes tellement nombreuses et nombreux, frères et sœurs de souffrance – et de résilience !
      Je t’embrasse fort !
      Alice

  9. Céline

    Merci Alice pour cet article sincère et courageux.
    J’ai plus ou moins le même parcours autour de cette question. Comme des passages inévitables pour des filles nées autour des années 80.
    Des violences obstétricales en plus…
    Combien de temps perdu à éviter des situations et à pleurer ? À cogiter à tout cela au lieu de croquer la vie…
    J’espère que nos filles auront un parcours plus doux.
    Belle continuation à toi sur ce chemin d’écriture et d’introspection.
    Et merci encore. 🙂

    1. Alice

      Merci Céline
      J’espère de tout cœur que les choses sont en train de changer, que nos filles n’auront pas à subir et à traverser ce que nous avons traversé. Et merci pour tes mots !

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